Avec la littératie physique, donner tout son sens à la liberté dans le sport

Cet article reprend des éléments échangés lors du dîner-débat du club parlementaire sport du 12 décembre 2023 sur le thème “Pratiques sportives libres et non fédérées, angle mort des politiques publiques ?”, animé par Belkhir BELHADDAD, député de Moselle et Jean-Jacques LOZACH, sénateur de la Creuse, co-présidents du Club. Gérard PERREAU-BEZOUILLE, président de la FF Clubs Omnisports était, avec Arnaud FLANQUART, vice-président de la Fédération française d’Athlétisme (FFA) et Grégory DE RADIGUES, vice-président de l’Union Sport et Cycle, union des entreprises de la filière du sport, chargé d’introduire la question. Merci à chacun d’entre eux et à tous les participants. 

Photo de 4 jeunes adultes jouant un basket sur un terrain extérieur

Les raisons qui prévalent derrière l’aspiration croissante aux pratiques libres 

Une tendance émerge actuellement vers une aspiration croissante à des pratiques « libres ». Elle existait depuis de nombreuses années mais alors portée par des publics qualifiés de « en marge ».  Les individus cherchent de plus en plus l’autonomie et la flexibilité dans leur engagement sportif. Des équipements tels que les parcours de santé ont aussi émaillé l’espace public d’équipement favorisant la pratique libre. Explorons tout d’abord les raisons sous-jacentes à cette recherche de pratique sportive non encadrée pour mettre en lumière les motivations qui ont façonné cette évolution culturelle. 

  • Flexibilité de l’emploi du temps : Avec des vies de plus en plus chargées, les gens aspirent à des activités sportives qui s’adaptent à leurs horaires flexibles. Les séances de sport non organisées offrent la liberté de pratiquer quand cela convient le mieux, évitant ainsi les contraintes des horaires fixes. 
  • Désir d’indépendance et de contrôle : Pouvoir décider du type d’activité, de la durée et de l’intensité renforce le sentiment de responsabilité personnelle. 
  • Variété et polyvalence : De la course à pied à la musculation en passant par le yoga, les pratiquants peuvent diversifier leur programme, contribuant ainsi à une expérience sportive plus riche. 
  • Émergence de la technologie : Les applications et dispositifs de suivi d’activité facilitent la pratique libre en fournissant des conseils personnalisés et des données en temps réel. Ces technologies créent un environnement propice à l’autonomie, permettant aux individus de surveiller et d’ajuster leur performance, de suivre leur progression, de se comparer aux autres à distance. 
  • Besoin de « déconnexion » (au sens non numérique du terme) : La pratique libre offre également une échappatoire aux contraintes de la vie quotidienne. Les gens cherchent des moments où ils peuvent se déconnecter, se ressourcer et profiter du sport sans pression extérieure. 
  • Évolution des attentes sociales : Une approche plus individualisée du sport, du fait de la reconnaissance croissante de la diversité des motivations et des styles de vie, encourage les pratiques libres en tant que réponse à cette pluralité. 
  • Besoin de rompre avec des organisations collectives côtoyées dans les différents secteurs de la vie professionnelles et extra-professionnelles (écoles, quartiers, familles…).
  • Besoin de rompre avec les exigences du groupe : règles, contraintes, obligations et autres rites qui limitent le champ du possible individuel. 

Pour tout ou partie de cela, le pratiquant se tourne vers des pratiques libres à l’image d’une société en mouvement, où l’autonomie, la flexibilité et la diversité sont devenues la règle. En recherchant la liberté dans leur engagement sportif, les individus trouvent des modèles de pratiques personnalisées et surtout auto-déterminées pour maintenir une vie active, contribuant ainsi à une culture sportive plus adaptable et inclusive. 

Le sport dit libre : une voie économique et financière intéressante pour les différents niveaux de l’Etat 

Très vite, l’Etat, comme les collectivités locales, ont répondu à cette demande. Ils ont aussi mesuré les gains économiques qu’ils peuvent réaliser en encourageant les pratiques sportives dites libres plutôt que les activités organisées. 

  • Réduction des coûts d’infrastructures : Les pouvoirs publics peuvent réduire les investissements coûteux dans les installations sportives. Les espaces publics tels que les parcs, les plages et les zones de loisirs deviennent des terrains de jeux gratuits, éliminant ainsi la nécessité de construire et d’entretenir des infrastructures. 
  • Promotion de la santé préventive : Les individus sont incités à s’engager dans des activités physiques autonomes, réduisant ainsi la pression sur les systèmes de santé publique et les coûts associés aux soins médicaux liés à la sédentarité. 
  • Implication communautaire à bon compte : Les pratiques sportives libres apparaissent comme éliminant les barrières financières associées à l’adhésion à des clubs sportifs. Les individus de divers milieux se rassembleraient donc de manière informelle, renforçant ainsi le tissu social sans nécessiter d’investissements importants de la part des autorités publiques. 
  • Moins de subventions aux clubs : Les pouvoirs publics peuvent réduire les subventions aux clubs organisés. Sous couvert d’autonomie, les individus financent eux-mêmes une pratique low cost, réduisant ainsi la nécessité de financements publics substantiels. 
  • Renforcement des usages utiles des espaces sportifs : La pratique devient intemporelle et permet d’occuper les espaces de manière moins massive et plus lissée dans le temps. Les individus sont plus à l’écoute de leurs rythmes, énergies sportives et disponibilités. Ceci génère des polarisations humaines nouvelles, des fréquentations entre individus en recherche des mêmes rituels temporels..  
  • Démultiplication des espaces sportifs de design actif : L’aménagement des espaces territoriaux en espaces de forme et bien être améliore les facteurs cognitifs de pratiques et de bien-être. En modifiant nos comportements au quotidien, sous la forme d’une incitation discrète, elle peut avoir un effet « coup de pouce » sur les populations locales et la culture sportive. 

Promouvoir les pratiques sportives libres a comme effet pervers de permettre aux puissances publiques de se dégager d’un secteur pourtant fragile. Et sans une vigilance des pouvoirs publics, des associations, des citoyens, cette promotion pourrait s’avérer contreproductive. 

Les risques peu souvent évoqués mais réels de la pratique dite libre : un éclairage critique  

La promotion par les pouvoirs publics de la pratique libre agit aussi comme un cache-misère potentiellement dommageable pour la santé individuelle et la sociabilité au sein de la population. 

Les équipements de proximité, une réponse imparfaite ou partielle…. 

– Équipements et infrastructures inadéquats : Encourager la pratique libre peut être inefficace si les infrastructures sportives ne sont pas adaptées ou accessibles à tous. Ceci peut créer des disparités dans l’accès aux équipements de qualité, des tensions du fait d’appropriation des espaces, favorisant ainsi l’exclusion plutôt que l’inclusion. 

La liberté de pratique, un risque traumatique…. 

– Manque d’encadrement et de conseils par un encadrement formé : La promotion de la pratique libre sans un encadrement qualifié adéquat peut conduire à des risques pour la santé. L’absence de conseils peut entraîner des blessures, des lésions à moyen terme, dues à une mauvaise technique, à des sur-exercices physiques, au mauvais choix ou au mauvais emploi des équipements individuels et collectifs. 

La pratique autonome, un miroir déformant…. 

-Pression sociale et auto-comparaison : La pratique libre peut exposer les individus à une pression sociale auto-imposée. Les comparaisons constantes avec d’autres pratiquants, souvent exacerbées par les médias sociaux, peuvent altérer la perception de soi et contribuer à des problèmes de bien-être mental. 

La pratique libre, des effets de mode qui rendent les parcs très vite inopérant…. 

– Surcharge d’information et de tendances : L’abondance d’informations sur la pratique libre peut conduire à une surcharge à des confusions parmi les pratiquants. Les tendances éphémères peuvent également entraîner des changements de comportement non durables et potentiellement risqués. 

La pratique libre, un hédonisme individuel, un risque pour le bien vivre ensemble…. 

– Isolement social et manque de cohésion : La pratique libre, sans une structure socialisée solide, peut conduire à un isolement social. Le manque de cohésion peut affecter négativement la motivation et l’engagement, compromettant ainsi les avantages sociaux du sport. 

Il convient donc d’examiner avec attention, de manière contradictoire la pratique libre. Bien qu’elle puisse sembler inclusive, elle doit être scrutée de près pour éviter des conséquences potentiellement préjudiciables. Un équilibre entre liberté individuelle et encadrement qualifié, une accessibilité réelle aux infrastructures sportives et la création de communautés sportives saines sont essentiels pour maximiser les avantages tout en atténuant les risques. Pour exemple, nous pouvons nous alerter des groupes informels qui se créent via les réseaux sociaux pour se retrouver au sein d’un espace public pour une pratique « encadrée » par un éducateur improvisé, parfois sans formation, ni compétence.  

Photo d'un groupe de 8 personnes courant sur le bord de mer

Une solution cohérente : la mise en œuvre de la Littératie physique, dans des clubs qui bougent, pour prendre en compte les mutations de l’individu et de la société. 

La pratique libre se caractérise par une approche plus décontractée et autonome de l’activité physique. Elle met l’accent sur la liberté de choix et l’absence de contraintes externes. Les individus qui privilégient cette méthode ont la possibilité de décider du moment, du lieu et de la nature de leur pratique. Que ce soit une promenade dans le parc, une séance de yoga à domicile ou une partie de basketball improvisée avec des amis, la pratique libre favorise la spontanéité et la flexibilité. 

La pratique organisée implique un certain degré de structure et de planification. Elle est encadrée par un coach, un éducateur, professionnel ou bénévole, qualifié. Elle est intégrée dans un cadre institutionnel, tel qu’un club ou une équipe. Cette approche met l’accent sur l’apprentissage, le développement des compétences et la recherche de bienfaits construits en commun. Intégrer une équipe ou un groupe d’entraînement favorise les interactions sociales, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance et la motivation. 

Pratique libre et organisée ne sont pas mutuellement exclusives. En réalité, elles sont complémentaires et peuvent être intégrées, la littératie physique propose cette mise en relation pour proposer à chacun une activité physique tout au long de la vie dans une relation à la vie sociale. Elle peut offrir de combiner des séances structurées avec des moments de pratique libre ce qui permet de bénéficier à la fois de l’encadrement qualifié et de la liberté d’exploration. 

En comprenant la richesse de ces deux perspectives, la littératie physique permet à chacun de tirer le meilleur parti de son engagement dans l’activité physique. 

Le sport est un droit pour chacun, pour que ce droit vive il y a besoin de service public qu’il soit d’Etat, des collectivités territoriales ou délégué aux fédérations et aux clubs. 

Il s’agit de donner de la cohérence, de construire un projet sportif local (PSL) équilibré par des réponses raisonnées. 

La littératie physique : Un pont entre pratique libre et organisée au sein des clubs omnisports 

La littératie physique, qui englobe la compréhension, l’appréciation et l’application des compétences motrices, la capacitation des acteurs, offre donc une perspective novatrice pour transcender la prétendue opposition entre pratique libre et organisée. L’auto-détermination de l’individu est prégnante dans les choix. 

Les clubs omnisports, dans la mesure où ils acceptent de se remettre en question, de prendre en compte dans un fonctionnement nouveau les aspirations évoquées, par leur nature polyvalente, par leur panel de pratiques, par leur flexibilité sont idéalement positionnés pour favoriser une approche personnalisée, où la liberté d’exploration et l’apprentissage structuré cohabitent harmonieusement, de manière équilibrée. 

La littératie physique est une clé d’émancipation car elle va bien au-delà de la simple exécution de mouvements. Elle englobe la compréhension des fondements anatomiques et physiologiques, la reconnaissance des principes de sécurité, la capacité à choisir les activités appropriées en fonction des besoins individuels et la prise en compte de « l’agir ensemble » au niveau global. Cette compétence transversale offre aux pratiquants une autonomie précieuse dans leur parcours sportif et les choix qu’ils feront car ils devront définir leurs engagements en y adossant des caps d’action et de progression. 

Les clubs omnisports peuvent, par leur offre diversifiée d’activités, créer un environnement où la littératie physique trouve toute sa pertinence. Ils peuvent permettre, de manière novatrice, de naviguer entre des disciplines variées, en bénéficiant d’un encadrement. Cette polyvalence favorise l’acquisition de compétences motrices variées, tout en respectant le rythme et les préférences de chacun. 

Pour dépasser l’opposition, les clubs omnisports peuvent être des catalyseurs, des ensembliers, en mettant en œuvre : 

  • Une approche personnalisée : En intégrant la littératie physique dans leur programme, les clubs omnisports offrent la possibilité aux membres de définir leur propre parcours. Chacun peut choisir de s’engager dans des activités construites comme « libres » ou de participer à des sessions organisées, en fonction de ses objectifs et de son niveau de confort 
  • L’apprentissage progressif : Les clubs omnisports peuvent favoriser une progression graduelle des compétences. Les pratiquants peuvent commencer par des activités libres pour développer une base solide, puis opter pour des sessions plus structurées pour affiner leurs talents. 
  • Le « soutien expert » : L’encadrement qualifié au sein des clubs omnisports est une ressource inestimable. Les entraîneurs et éducateurs sont en mesure de guider les membres dans leur démarche d’apprentissage, qu’il s’agisse d’activités libres ou organisées. 

Mais pour faire du personnalisé dans un cadre collectif, répondre à des besoins personnels de progression et de compétences transversales, progresser en évitant les risques traumatiques les clubs doivent bouger encore : 

  • En abordant le pratiquant libre non pas d’abord comme un adhérent à intégrer absolument mais plutôt comme un adhérent possible, en devenir qui s’intègrera de lui-même dans le club si son souhait de pratique s’y épanouit 
  • En construisant, fort de la diversité des pratiques offertes, trop souvent encore cloisonnées, une offre en lien avec la littératie physique…. 
  • En se dotant d’un panel plus complet de points d’entrée au sport, dans les offres, dans les gammes et dans la temporalité, à l’image de ce qui se fait déjà avec les écoles multisports enfants. 
  • En se situant comme un cadre collectif pour tous au service de l’épanouissement de chacun 
  • En investissant des espaces de pratique divers, protéiformes, en les respectant dans leur philosophie – terrains de proximité, parcs locaux, parcs naturels-, en permettant à chacun de se les approprier 
  • En envisageant avec sérénité et en contribuant à des solutions de partage et de complémentarité l’ouverture des espaces de pratiques dédiés 
  • En modifier si besoin sa structure, son organisation, son mode de fonctionnement, voir ses modalités d’adhésion 
  • En communiquant sur ce positionnement complémentaire avec ses partenaires, ses financeurs mais aussi plus largement vers la population 
  • En obtenant des financements nouveaux, en recherchant de nouveaux partenaires, en liaison avec les nouvelles missions ainsi définies.

Élaborer de nouveaux critères d’évaluation pour aller vers un nouveau modèle économique 

Pour avancer correctement et de manière complémentaire dans la prise en compte de la demande de pratique libre, il y a nécessité de dépasser les indicateurs de réussite basés uniquement sur le nombre de pratiquants, d’adhérents et donc de licenciés, sur les résultats aux compétitions (nombre de médailles), prendre en compte des indicateurs qualitatifs. 

Aujourd’hui, la licence, le nombre de licenciés sont la base du financement des clubs et des fédérations. Avancer sur la question de l’évolution de la demande sportif et des besoins sociaux entraîne une remise en cause de la structure du modèle économique des fédérations. 

Les évolutions de la demande (dont celle exprimée en termes de pratique libre) et des besoins sociaux nécessitent une remise en cause de fond des réponses à apporter, il apparaît logique et indispensable que les critères de mesure de l’efficacité et de la valorisation des politiques publiques comme des actions mises en œuvre avec le soutien de moyens publics soient revus, repensés (voir article spécifique littératie et évaluation). 

Une synergie fructueuse

La mise en œuvre de la littératie physique au sein des clubs omnisports représente une opportunité exceptionnelle de dépasser la prétendue opposition entre pratique libre et organisée. En favorisant une approche équilibrée, ces clubs créent un environnement où chacun peut évoluer à son propre rythme, tout en bénéficiant d’un encadrement expert. Ainsi, la littératie physique devient le trait d’union entre liberté d’exploration et apprentissage structuré, offrant un parcours sportif enrichissant et épanouissant. 

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