Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la mission de votre Ministère et comment la thématique des femmes dirigeantes s’intègre dans celle-ci ?
Même si le titre de mon ministère est long (NDLR : Egalité entre les femmes et les hommes, diversité et égalité des chances), j’ai pour habitude de dire que mon ministère est celui de l’Egalité. De l’égalité des droits et des chances, pour toutes les citoyennes et tous les citoyens, sans distinction de leurs origines, genre, orientation, parcours de vie ou vulnérabilités. C’est un portefeuille totalement interministériel, qui implique tous mes collègues du Gouvernement puisque les enjeux d’égalité, de lutte contre toutes les formes de violences et de discriminations concernent bien sûr toutes les politiques publiques. C’est en ce sens que je travaille en lien direct avec la Première ministre et que nous avons présenté ensemble les deux plans nationaux travaillés depuis ma prise de fonction : le plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine le 30 janvier, puis le plan Egalité le 8 mars dernier.
Nous présenterons également ensemble en juin le plan pour les droits des personnes LGBT+. Au titre de l’égalité entre les femmes et les hommes, un levier prioritaire est évidemment de garantir une égalité réelle dans la sphère professionnelle, mais aussi d’insuffler la dynamique de la culture de l’égalité dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, dans toutes les sphères. Nous travaillons à renforcer l’accès des filles et des femmes aux filières d’enseignement scientifique, aux métiers manuels, aux fonctions dirigeantes dans les entreprises, dans le mouvement associatif ou en politique. Je suis convaincue que nous parviendrons à briser tous les plafonds de verre car la société civile est prête et la jeunesse très engagée sur le principe d’égalité.
” Je pense que globalement, il s’agit d’organiser un changement de paradigme pour repenser le bénévolat “
Quels sont, selon-vous, les principaux freins à la prise de fonction de dirigeantes ?
La réponse des hommes dirigeants est qu’il n’existerait pas assez de femmes candidates. Cette réponse me révolte ! Des femmes compétentes, motivées et disponibles pour prendre des responsabilités, professionnelles et/ou associatives, il y en a bien évidemment autant que des hommes ! Cela dit, bien sûr, certaines charges familiales ou domestiques pèsent encore davantage sur les femmes au quotidien et il est donc essentiel de renouveler les modes d’engagements et de disponibilité que réclament des missions de dirigeantes associatives, notamment lorsqu’il s’agit d’une fonction bénévole.
Je pense que globalement, il s’agit d’organiser un changement de paradigme pour repenser le bénévolat : réduire la charge mentale liée à la disponibilité attendue, mieux partager les tâches, doubler les postes à responsabilité avec un titulaire et un suppléant, proposer une coprésidence de la structure avec un homme et une femme, déléguer certaines missions aux adhérents eux-mêmes (par exemple la communication sur les réseaux sociaux d’un club sportif), limiter le nombre de réunions et mieux les thématiser. La pandémie de la Covid a déjà permis le recours aux visioconférences et permis de rationaliser précieusement le temps de réunion.
La loi du 2 mars 2022 impose une parité au niveau des instances dirigeantes des fédérations sportives dès 2024 et 2028 au niveau des régions. Fallait-il forcément passer par une loi pour faire bouger les lignes ?
Depuis la loi d’août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le code du sport fixait des obligations de représentation dans les instances dirigeantes des fédérations liées à la proportion des licenciés de chaque sexe avec une dérogation pour les fédérations disposant une répartition très fortement déséquilibrée. Il s’agissait d’impulser une dynamique visant à se rapprocher peu à peu de la parité. Force est de constater que la dynamique a eu des effets hétérogènes selon les fédérations et que, chez certains, la représentation des femmes dans les instances dirigeantes reste très faible.
A l’approche des jeux Olympiques de 2024 qui seront pour la première fois totalement paritaire mais aussi par conviction que la démocratie fédérale passe par une gouvernance paritaire, le Gouvernement a soutenu la volonté parlementaire d’imposer, par la loi, une parité stricte dès les élections de 2024. Le chemin a été ouvert depuis 10 ans et il est temps que toutes les fédérations s’engagent définitivement. Nous sommes conscients que cette obligation génère des adaptations pour accompagner mieux les parcours des femmes dirigeantes. C’est la raison pour laquelle les initiatives de la FFCO ou du CNOSF pour organiser du partage de bonnes pratiques et de compétences, pour créer et animer des réseaux de femmes dirigeantes, sont essentielles et nous les soutenons.
C’est pour cela que j’ai tenu à ouvrir le colloque Omnisports pour elles ce 12 juin et que j’étais présente aussi à Bourges en janvier pour les Etats généraux du sport féminin. C’est aussi dans le même esprit que je marraine la Charte pour la féminisation des rédactions sportives, portées par l’association Femmes journalistes de sport et l’UJSF (Union des Journalistes Sportifs Français), dont le déploiement est une mesure du plan Egalité. Toutes les actions qui visibilisent les femmes dans le champ sportif, à toutes les fonctions d’encadrement, de direction, sur les terrains ou dans les médias, participent du mouvement général pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
” Toutes les actions qui visibilisent les femmes dans le champ sportif, à toutes les fonctions d’encadrement, de direction, sur les terrains ou dans les médias, participent du mouvement général pour l’égalité entre les femmes et les hommes. “
Trouvez-vous des signes sur ces dernières années d’une évolution positive de la situation ?
Je trouve que le débat public a en effet totalement intégré la nécessité de raisonner parité et mixité dans tous les champs de la société. Le sport, avec cette parité totale dans les instances fédérales dès les prochaines élections, prendra de l’avance sur d’autres secteurs d’activité et c’est une grande fierté que la France valorisera à l’occasion de l’accueil des jeux olympiques et paralympiques ! Evidemment, nous devons poursuivre nos actions pour déconstruire certains stéréotypes sexistes encore parfois trop ancrés ; c’est le sens du travail engagé avec mon collègue Pap NDiaye à l’Education nationale. Cela passe par exemple par une collaboration avec les éditeurs de manuels scolaires pour que toutes les illustrations soient totalement équilibrées entre femmes et hommes.
Cela passe aussi par la formation des éducateurs sportifs professionnels ou des bénévoles, et nous avançons avec Amélie Oudéa-Castera pour intégrer plus fortement ces sujets dans les formations aux diplômes d’encadrement. Enfin, rien ne sera jamais plus efficace que d’avoir des modèles auxquels les petites filles et les jeunes femmes s’identifient : il faut donc valoriser dans les médias et dans l’espace public les femmes qui occupent des postes à responsabilité, qui entrainent ou arbitrent à haut niveau, qui commentent aussi les compétitions à la TV (pas seulement les compétitions féminines mais aussi les masculines). Je sais que la fédération des éducateurs sportifs œuvre aussi pour que les parcours de formation et les exigences de diplômes permettent des passages fluides au cours de la carrière entre le sport professionnel masculin et le sport professionnel féminin.
” Je trouve que le débat public a en effet totalement intégré la nécessité de raisonner parité et mixité […]. Le sport, avec cette parité totale dans les instances fédérales dès les prochaines élections, prendra de l’avance sur d’autres secteurs d’activité “
Le monde du sport est-il particulièrement en retard ou en avance sur cette question des femmes dirigeantes ?
Après les élections de 2024 dans les fédérations sportives, le monde du sport sera particulièrement bien placé ! Le sport a toujours été un formidable vecteur des politiques publiques pour l’égalité réelle car il est par nature le lieu du partage et du vivre-ensemble. Ce n’est pas pour rien qu’on parle du langage universel du sport : toutes les petites filles et petits garçons du monde peuvent, ensemble, jouer au foot, au basket, nager ou faire de la gym alors même qu’ils n’ont pas la même langue.
Et demain, comment voyez-vous les choses évoluer à l’avenir ?
Avec beaucoup de confiance car d’une part je pense que la société civile, en France et dans le monde, est souvent en avance sur les décisions politiques et que la jeunesse d’aujourd’hui n’acceptera plus aucun recul dans l’égalité entre les femmes et les hommes. Et d’autre part, la mobilisation politique, tant au niveau national que local, est déterminée. Depuis 2 quinquennats, l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause portée par le Président de la République, tous les ministères sont clairement engagés, de très nombreuses entreprises vont au-delà des obligations légales pour favoriser la mixité et la lutte contre tous les risques discriminatoires. Je crois que la vigilance collective est en marche et que la dynamique est enclenchée. Bien sûr, je ne peux malgré tout oublier la phrase de Simone de Beauvoir « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. ».
Le leadership des femmes dans le sport
Brigitte Henriquez, première femme élue présidente du CNOSF. Amélie Oudéa Castera à la tête du ministère en charge des sports. Isabelle Lamour, Présidente de la fédération d’escrime. Isabelle Jouin, Présidente de la fédération de Hockey sur Gazon. La gouvernance du sport français illustre ici une tendance qui s’ancre progressivement (bien qu’avec du retard) dans notre société. Ces nominations ou élections récentes reflètent-elles pour autant une réalité durable du leadership des femmes dans le sport ? Et d’abord le leadership, c’est quoi ? Le dictionnaire Le Robert le définit comme une fonction, une position de « leader », lui- même définit comme un chef, un porte-parole (au masculin dans le texte). Ces personnalités portent donc effectivement un leadership des femmes au sein des instances principales de décision du sport français.
Toute la question est in-fine de savoir si elles peuvent embarquer tout l’écosystème dans une mutation profonde amenant à plus de parité. Matthieu Martin revient sur les propos de Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Maîtresse de conférences à l’Université Lyon 1 et spécialiste des questions de genre dans le sport dans un article* publié en janvier 2023 sur le site Sciences pour Tous de l’Université Claude Bernard Lyon 1.
Cette dernière présente une réalité plus contrastée avec des chiffres à l’appui : 10% de femmes parmi les entraîneurs nationaux par exemple ! Et même si les choses progressent et vont s’accélérer grâce à la récente loi du 2 mars 2022 (portée par l’ancienne Ministre des Sports Roxana Maracineanu, cette loi impose la parité dans les fédérations sportives dès 2024), reste que les fonctions occupées sont encore très genrées : secrétariat ou trésorerie plus que présidence, sujets sociaux plus que performance, niveau local plus que national… Il faut enfin noter que cette évolution n’est pas un long fleuve tranquille et amène aussi son lot de difficultés, d’oppositions voir de complications managériales et/ou judiciaires… Mais, avec une pointe d’ironie, n’est-ce finalement pas le signe que le leadership des femmes dans le sport est déjà au niveau de celui des hommes ?!
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